vendredi 30 mars 2007

Bonjour

Pour clore (provisoirement?) les « Aventures de Solo » (on trouvera le début de ces aventures dans les archives du blog), ce petit texte tiré du même ouvrage (« Enfant, fais ce qu'il te plaît ») que j'intitule « Improvisation » sachant qu'en pédagogie, comme en jazz me dit-on, rien ne demande plus de préparation que l'improvisation.
Mais peut-être ne s'agit-il, en réalité, que d'une approximation du fameux « Carpe diem » ce « cueille le jour » interprété ici comme tentative de saisir l'instant pour faire de cette fugacité un morceau de vie. Ce qui demande, en effet, le patient apprentissage de la saisie au vol de l'instant riche pour en faire, à l'intention des enfants, une occasion privilégiée d'acquisition de connaissances.
Et puis cet autre texte intitulé « Restez assis les enfants... »
Car, ne dirait-on pas, dans cette «campagne», qu'à force d'encadrement militaire pour les récalcitrants, de drapeaux ondoyants et de sillons abreuvés de sang impur, l'on soit en train de perdre son âme? Alors pourquoi pas «les enfants se lèvent quand le professeur entre en classe », comme dit l'autre?
Et dire que nous avons tant aimé travailler à humaniser l'école, c'est-à-dire à en faire un lieu de vie, sachant que vie et connaissance ne sont qu'une seule et même chose, tant aimé donner à chaque enfant la chance de vivre pleinement son enfance en tant que présent et non comme prédication d'un éternel futur.
Mais foin de nostalgie, le temps des cerises reviendra, déjà le sureau bourgeonne à ma fenêtre: figurez-vous que le candidat ex-ministre de l'Intérieur s'autorisa, dans un discours, à citer le livre de Jean Rouaud « les Champs d'honneur » (Prix Goncourt 1990) comme exemple de littérature par laquelle « on en apprend autant sur le courage, le civisme et l'amour de la patrie.. », las, le candidat n'avait manifestement pas lu le livre de sorte que l'auteur lui répond dans une lettre ouverte (Le Monde des livres, 30 mars 2007) ceci, entre autres: « ...et je mets au défi quiconque de trouver dans le livre le moindre accent patriotique. C'est une notion qui m'est étrangère. Je crois que les nationalismes et ses avatars régionalistes et communautaristes sont des poisons de l'esprit. Autrement dit, qu'ils rendent idiot ». Et plus loin: « Il ne faut pas demander à tous ceux qui nous font l'honneur de vouloir vivre dans ce pays d'abandonner ceux qui les ont faits. Je sais bien que la nation a tout prévu. Débarrassez-vous de tout ce qui vous compose et vous serez adopté par la « mère patrie ». Étrange couple ubuesque qui fusionne père et mère et se propose de nourrir ses enfants pourvu qu'ils se conforment à l'idée qu'ils s'en font. C'est cela l'identité nationale, une famille conceptuelle. Et comme une famille elle raconte des histoires à ses enfants - des histoires à mourir debout ». Et, enfin (mais on aura compris qu'il vaut de lire l'article dans son intégralité), ceci: « Il n'y a plus d'identité nationale, chacun est un composé d'identités multiples, il n'y a plus de patrie, qu'une accumulation de territoires fluides ». Je ne suis pas sûr que cela s'adresse seulement au candidat ex-ministre. Le sureau bourgeonne à ma fenêtre...
N.



Improvisation

Quatorze heures. Le déjeuner pèse sur les paupières. Il pleut sur les trois marronniers plantés dans le bitume. Les vêtements exhalent des vapeurs odorantes et les chevelures ruissellent sur les visages altérés. On essuie ses mains à des carrés blancs de papier ouaté. On regarde. Dehors. Les feuilles frémissent à chaque goutte éprouvée. Le ciel s’assombrit encore. La leçon est à faire, à commencer, à tenir. Regardons. Non, n’allumons pas la lumière! On n’y voit goutte? Tant mieux. Écrivons ainsi, dans la pénombre offerte, dans ce silence, ouvrons une fenêtre!: éclatements sur le bitume, pétillements de feuilles atteintes, accompagnement sourd d’eau précipitée roulant au caniveau. Écrivons dans ce silence. Écrivons ce que nous sommes en cet instant pour, écrivant, savoir que nous sommes, pour, écrivant, coucher là cet Instant.
Ils écrivirent donc, ce jour-là, et j’écrivis aussi, puis encore au cours suivant car nul n’avait oublié sa feuille, certains y avaient travaillé... à la maison. Nous écrivîmes encore sous l’interdiction absolue de déchirer les brouillons. De temps à autre l’un, l’une se levait et lisait. Parfois il demeurait suspendu à un mot et, s’asseyant, saisissait sa plume, griffonnait, et un autre, une autre se dressant, lisant, s’écoutant lire...
Des boules de papier volèrent vers la corbeille où il fallut, de part la loi, aller les chercher pour les raccommoder. Et l’on ne faisait toujours pas la leçon: on n’avait pas le temps puisqu’on écrivait.





Restez assis, les enfants...


Restez assis, un enseignant n'est pas un hiérarque quoi que prétende ce candidat-ministre de l'Intérieur: «Quand le professeur entre en classe, les enfants se lèvent!», dit-il.
Mais, n'était-ce pas ainsi dans «le bon vieux temps»? C'est vrai, nous nous levions dans les années cinquante, mais ce n'était pas le «bon temps». Nous nous levions mais nous ne respections pas tous les professeurs, seulement ceux qui le méritaient. Comme aujourd'hui. Quant aux autres, nous faisions semblant, nous riions sous cape et nous leur en faisions voir de toutes les couleurs, parfois cruellement, comme aujourd'hui.
Seulement nous étions moins nombreux, et moins divers aussi, mais ce n'était pas le «bon temps». Surtout pour ceux qui quittaient l'école à 14 ans, toujours les mêmes. Comme aujourd'hui.
J'ai encore vu, au début des années soixante dix, des enfants se dresser à l'entrée des professeurs ou aux premières notes d'un hymne national. C'était dans Cuba stalinisée et en Espagne franquiste. Ces enfants portaient uniforme. Comme le souhaite cette troïka de députés qui propose de masquer les signes les plus apparents de l'inégalité sous un uniforme!
C'est ainsi que par touches successives nous en arrivons à une cohérence dans l'effrayant: tentative de dépistage systématique des troubles de conduite dès 3 ans, enfants en uniforme qui se dressent, obligation de l'apprentissage d'un chant guerrier sans oublier la note de conduite et la pratique du «b-a, ba». Faut-il montrer la cohérence entre le b-a ba et le «levez-vous!»? La voici: ne cherchez pas à comprendre!
Et c'est ainsi que nous en arrivons à l'étouffement de la raison au profit de l'argument d'autorité. Car la première mission d'un enseignant n'est pas de «faire preuve d'autorité» mais de «faire autorité».
Faire autorité par son savoir et sa capacité à le partager. Non pas à user de l'autorité que lui confère sa fonction pour assener mais faire autorité par son savoir et son art à gagner l'estime de l'enseigné. Car nul n'apprend véritablement d'un enseignant sans estime pour celui-ci.
La mission d'un enseignant ne consiste pas à contraindre sous la férule, mais à aider l'enfant à découvrir ses talents, et pour cela apprendre. Et s'efforcer. S'efforcer dans cette quête sensée: tenter de se connaître.
Se connaître, non pas sur le mode de l'égotisme mais pour, à travers soi, aller à l'universel. Ce qui exclut, on le voit, tout recours à l'argument d'autorité.
Le recours à l'autorité en matière d'éducation est toujours un échec de l'éducation, de même que le recours à la force dans la démocratie est toujours un échec de la démocratie.
C'est pourquoi, quand des enfants se dressent dans une classe, c'est la raison qui en rabat, l'école qui en frémit et la démocratie qui en vacille.

N.

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