mercredi 10 janvier 2007

Enfant, fais ce qu'il te plaît...

Voici donc la suite des aventures de Solo. Il s'agit de quelques "bonnes feuilles" d'un ouvrage non encore édité. On trouvera les premières dans les archives des 7 et 14 décembre.


Il refuse obstinément: discipline ou pédagogie?
Ce matin, donc, Solo est manifestement dans des dispositions extrêmement propices, on ne sait pourquoi, à l’affrontement, à, peut-être, l’affirmation de sa personne en tant que « unique ». Qui sait? En tout cas, je suis affronté pour la première fois à cette situation, nous sommes en début d’année, au moment où le travail pédagogique de structuration de la vie en classe ne fait que commencer. Donc, Solo refuse toujours d’enlever sa casquette. Les regards alentour me pressent d’intervenir, ce que je fais, sur le mode solennel, sans volonté de théatralisation, avec le sérieux, simplement, auquel ont droit ces enfants, auquel a droit, impérativement, l’école:
- Nous n’allons pas faire ce qui était prévu ce matin.
- Vous faites la grève, M’sieur? On va pas travailler? Mais si, eh, attend...Il veut peut-être aller en perm... Faut le virer, M’sieur... Ta mère!...
- Non, nous allons faire autre chose...
Un relatif silence s’établit.
- Je ne vais exclure personne. Pourquoi, à votre avis?
Il est fort probable, alors, que j’entende ceci: « y d’mande qu’ ça, aller en perm » ou « ça changera rien » ou « y voudra pas sortir » et que tout ainsi soit passé en revue ce qui m'instruit fort sur ces enfants auxquels j’ai à enseigner, sur ce groupe avec lequel je vais avoir à vivre de manière à ce que chacun apprenne autant qu’il en est capable.
-Non.
- Pourquoi, alors?
- Réfléchissez...
- J’sais pas moi!...
- On va réfléchir ensemble. Qui est le « modérateur » aujourd’hui? Qui prend note?
Ils comprennent: les fonctions de modérateur et de rapporteur ont été instituées dès les premières heures de l’année. Rappel, cependant, primordial: le travail prévu pour aujourd’hui devra être fait, il conviendra donc de s’organiser en conséquence. La séance peut s’ouvrir.
Bien des choses vont être dite: quelle est la règle? On ne porte pas de casquette en classe. On peut discuter le bien-fondé de cette règle, mais pour l’instant elle est en vigueur, on l’observe. Comment fait-on pour modifier une règle? On demande aux délégués au CA (Conseil d’administration) de proposer la modification, on leur suggère d’en parler d ’abord avec les délégués des parents, des profs, pour voir...Et puis c’est normal d’enlever sa casquette, c’est le respect, non, ça n’a rien à voir, c’est pas la liberté alors, la liberté c’est pas n’importe quoi... Et bien d’autres arguments encore. La prise de parole fonctionne les notes sont prises.
Premier résultat à considérer immédiatement: Solo n’est plus à la confluence des regards, il est écarté peu à peu de sa position centrale et il me revient de veiller à ce qu’il n’y retourne point. Processus de « décentration » qui vaut sans doute son pesant de théorisation mais qui n’a d’autre objectif, pour l’instant, que d’éviter que tout cela ne tourne en « tribunal populaire » ou en « thérapie de groupe » pour laquelle je n’ai ni compétence ni, d’ailleurs, inclination particulière. Il s’agit plus simplement d’une séance impromptue, mais moins improvisée qu’il n’y paraît (nous aurons à revenir méticuleusement sur, précisément, « l’improvisation » en tant qu’absence de démarche pédagogique ou, à l’inverse, en tant que démarche pédagogique par excellence. Patience.) d’éducation civique « en situation » au cours de laquelle vont être acquises ou consolidées un certain nombre de connaissances. En effet, des notes sont prises qui vont être mises en forme par un ou deux élèves « faibles » en français, aidés par un « fort », un AE (aide éducateur) ou le professeur lui-même, sachant qu’il s’agit là d’une « structure de remédiation », autrement dit d’un recours toujours disponible, mis en place, également, aux premières heures de l’année.
Mais le temps passe. Surtout, rester maître du temps: préserver les cinq dernières minutes pour le « retour réflexif » qui n’est rien d’autre que ceci: récapituler ce qui vient d’être fait, dire, bien haut, « ce que j’ai appris » et, peut-être, « ce que je voudrais bien savoir maintenant » et le rédiger, raconter tout cela pour la prochaine fois. Un exercice de rédaction, sensément, mais on ne peut plus « en situation », et du labeur en perspective, comme il convient pour tout texte produit: syntaxe, orthographe, grammaire, lisibilité... et, enfin, cela pourra faire l’objet d’un « panneau », d’un affichage, non pour faire joli mais pour commémorer un acte si mémorable, pour que nul n’oublie, et pour que la prochaine fois il me suffise, peut-être, de désigner le panneau du doigt sans avoir même à ouvrir la bouche.
Fort bien, mais que devient Solo dans tout cela? Précisément, envisageons donc les différentes sorties possibles. La plus optimiste d’abord: il aura enlevé sa casquette avant la fin de la séquence, peut-être parce qu’il ne supporte plus une situation qui l’ignore ou parce qu’une copine, un copain, disposant de quelque prestige le lui aura demandé en catimini. Moins optimiste: il ne se découvre pas mais le fait au cours suivant. Pessimiste: il persiste dans son opposition. Occurrence peu probable car j’aurai pris la précaution, entre temps, de m’entretenir avec lui, d’intervenir sur le mode « tutoral » et d’obtenir vraisemblablement son assentiment. Un nouvel échec signalerait simplement la nécessité d’une mobilisation institutionnelle pour « s’occuper » de cet adolescent, ce qui, sans doute, aurait dû être fait depuis longtemps.
Mais il y a pire, je le sais bien, pire situation que celle-ci, et nous le verrons, le pire ne sera pas éludé, bien à l’inverse, il sera soigneusement examiné plus avant. Car il ne s’agit, pour l’instant, que de poser ceci: les situations les plus délicates auxquelles se trouve affronté tout enseignant présentent le plus souvent une alternative dont les termes sont: discipline ou pédagogie. Toute l’action de l’enseignant consistera alors à tenter de convertir une situation de « maintien de l’ordre » en situation d’apprentissage par le recours à l’acte qui constitue l’essence même de sa fonction: enseigner. Ce n’est pas là recourir, selon la vulgate « psy », à la traditionnelle tentative de dialogue face à l’adolescence butée, mais, bien plutôt, c’est là disloquer le cadre ( le ring?) de l’affrontement pour lui substituer un cadre éducatif. Cette volonté de restauration d’une activité pédagogique, seule légitime à l’école, bannit comme impertinente toute relation de type purement « disciplinaire » et, dans le même temps, saisit chaque événement de la « vie de la classe » en tant qu’objet ou occasion d’apprentissage.
A suivre...

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