mardi 19 décembre 2006

Egalité ou inégalité des intelligences? (suite)

Je reviens au commentaire de François Thomas (voir dans Archives au 1° décembre) pour aborder succinctement (en attendant mieux) les questions fondamentales du "travail" (pas seulement manuel) et du "goût d'apprendre".
Pour ce qui est du travail, je me limiterai à ceci, pour l'instant, mais j'y reviendrai un de ces jours: on parle beaucoup, par ces temps de "campagne", de la "valeur travail" et du "mérite". Je soutiendrai, bientôt donc, que ces deux notions, assenées comme "allant-de-soi", sont des artifices rhétoriques propres à éluder la question suivante: qui, dans une société démocratique doit assumer les "travaux ignominieux" (c'est Rousseau qui les qualifie ainsi) que nul ne choisirait d'assumer s'il avait le choix? Ceci, bien sûr, en toute justice.
On voit bien que la question de l'égalité ou non des intelligences prend ici tout son sens. En effet, si l'inégalité des intelligences était démontrée indéniablement, ne suffirait-il pas, pour parvenir à l'harmonie sociale, que les "intelligents", les "sages", les "philosophes", comme disait Platon, fussent au pouvoir? Et qu'ainsi, du haut en bas de l'échelle des intelligences, chacun fût à la tâche correspondant à ses capacités? Platon, justement s'y essaya (voir "la République"), très concrètement, du côté de Syracuse, et, on le sait, faillit y laisser sa peau.
Ceci dit, on voit bien que si l'on opte pour l'égalité des intelligences (ce qui ne signifie pas identité, bien sûr) on s'enfonce dans l'impasse: qui doit assumer tout au long de sa vie, ces besognes, en toute justice?
C'est alors que, pour tenter de sortir de l'impasse, on dit: travail, mérite, effort,volonté. Tout devient limpide car alors se crée une autre hiérarchie en haut de laquelle se trouvent les valeureux, les courageux, les volontaires, les méritants, et au bas de laquelle se trouvent... les fainéants, les bons à rien qui n'ont que ce qu'ils méritent. Et tout va pour le mieux ainsi, chacun peut vaquer l'âme en paix. Sauf si l'on pose la question impertinente: mais d'où vient-il donc que certains soient dotés de volonté, par exemple, et d'autres non?
Rousseau pose ainsi la question dans "La nouvelle Héloïse":"Il s'agit de savoir si la volonté se détermine sans cause, ou quelle est la cause qui détermine la volonté" .
Comme on le voit, il n'est pas simple de sortir de l'impasse surtout si l'on se souvient de l'étymologie du mot travail (tourment, supplice...) et du mythe prométhéen qui présente le travail comme punition infligée aux hommes par Zeus (Jean-Pierre Vernant: La Grèce ancienne, Seuil, 1990).
Quant au travail manuel dont on nous dit qu'il faut en reconnaître la noblesse, bien sûr, mais la première reconnaissance ne serait-elle pas qu'il fût bien rétribué? Et puis, comme pour toute activité sociale, il est des tâches qui permettent à l'individu de se réaliser et d'autres, sans doute les plus nombreuses, qui sont source d'aliénation. Bref, on le voit, le mot travail recouvre bien des réalités.
Par exemple: est-ce que les deux principaux candidats, qui proclament la "valeur travail" et "le mérite" à pleine voix, travaillent? Oui? Alors que fait le Monsieur que je vois dans la tranchée ouverte dans ma rue, accroché tout le jour à son marteau-piqueur? Il jubile? Non, bien sûr, ce sont les deux autres qui jubilent, il n'y a qu'à les regarder...
Donc, toute dépense d'énergie n'est pas "travail", "labeur", "besogne", "tâche ignominieuse", on le sait depuis longtemps...
Alors, le goût d'apprendre dans tout ça? Comment donner le goût d'apprendre aux enfants? Mais, apprendre, n'est-ce pas vécu par une multitude d'enfants (et d'adultes) comme fastidieux? alors qu'il n'est rien de plus jubilatoire que la connaissance, que la pratique connaissante, nous assurent de vieux sages tout au long de l'histoire. L'école aurait-elle produit cette horreur: le dégoût d'apprendre pour une multitude d'individus assignés ainsi, en toute "justice" aux "tâches ignominieuses"?

Bientôt la suite des "aventures de Solo"...

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