vendredi 1 décembre 2006

Education et autorité

Ci dessous un texte non publié en son temps qui me semble conserver toute son actualité.

Voici, une fois de plus, la question de l’éducation posée en termes d’autorité (article de Jean-Claude Casanova, le Monde du 6 novembre 05) termes dont les ambiguïtés laissent perplexes. Ainsi de l’affirmation : « Pour offrir aux enfants les moins avantagés les mêmes chances de succès qu’aux autres, il faut plus d’efforts… ». Comment ne pas noter l’euphémisme « les enfants les moins avantagés » laissant supposer que tous les enfants sont avantagés, mais, simplement, certains le sont moins que d’autres. La réalité, comme le savent celles et ceux qui enseignent dans les zones de pauvreté, est celle d’enfants innombrables vivant dans des conditions matérielles et morales que nul, parmi les catégories sociales favorisées, ne tolèrerait pour ses propres enfants.
Cette proposition, en outre, apparaît, comme disent les philosophes, passablement aporétique. Si, en effet, l’on offrait à tous les enfants « les mêmes chances de succès », nul doute que la plupart d’entre eux parviendrait à un niveau d’études parfaitement honorable. Car ce que nous savons, travaillant dans ces zones, c’est que les enfants en difficulté ne sont pas intellectuellement plus déficients que leurs congénères des établissements de centre-ville. Mais alors, aporie, à qui reviendrait de réaliser les tâches innombrables, socialement indispensables, mais particulièrement rebutantes au point que nul ne choisirait de les accomplir, sa vie durant, s’il avait « la chance » de pouvoir choisir ? Ne sommes-nous pas, ce faisant, au cœur de cette fameuse « tension » de l’idéal démocratique, tension entre justice et servitude(s)?
C’est alors qu’apparaît, aujourd’hui comme en d’autres temps, la notion de mérite qui nous ferait enfin, miraculeusement, sortir de l’impasse. Notion pourtant problématique, s’il en est, formulée ici en termes de « hiérarchie des talents », ce qui ne soustrait rien à la problématique. Car, qu’est-ce donc qu’un talent ? Question moins facile qu’il n’y paraît. Et selon quels critères serait établie une hiérarchie des talents ? La multitude de femmes et d’hommes qui accomplissent dans notre société les tâches les plus rebutantes seraient-ils dépourvus du moindre talent ? Croit-on vraiment qu’ils soient incapables, pour ainsi dire génétiquement, de faire autre chose que de trimer leur vie durant, de « mériter » cela ? On a beau se défier de la « reproduction sociale », il n’en reste pas moins vrai que l’on ne trouve pas dans la population scolaire « en difficulté » d’enfants issus des catégories sociales aisées. Trente ans d’enseignement dans les zones de pauvreté l’attestent comme l’attestent les statistiques les plus officielles.
On ne peut alors, évidemment, qu’approuver l’intention de la commission THELOT « de permettre au plus grand nombre d’atteindre le niveau le plus élevé », mais alors se pose la question pédagogique par excellence : comment ? Diversifier, nous dit-on ici, accorder plus de temps et d’efforts « à ceux qui en ont le plus besoin ». Mais n’est-ce pas ce qui a été fait depuis plus de vingt ans dans les ZEP et qui n’a nullement permis de réduire les inégalités comme le reconnaissent, enfin, tous les observateurs attentifs ? Alors, comme toujours dans les situations de faiblesse démocratique, la facilité consiste à faire appel à l’autorité de même qu’à l’école, en situation de faiblesse pédagogique le maître se résout à l’argument d’autorité.
Il convient donc, nous dit-on une fois encore, de donner plus d’autorité à chaque niveau de la hiérarchie, depuis le ministre jusqu’au praticien de base, et plus particulièrement au chef d’établissement dont il conviendrait de faire (voici des années qu’on le susurre) un véritable chef d’entreprise. C’est évidemment ici que s’instaure le véritable débat qui n’est pas de caractère gestionnaire ou technocratique mais, véritablement, un débat politique, car l’éducation, comme le disait Rousseau, est une question radicalement politique.
Et, non, l’école qui se veut démocratique ne peut pas être gérée comme une entreprise car une école démocratique ne peut en aucun cas considérer les enfants (je dis bien enfants et pas seulement élèves) comme des produits manufacturés mais comme des personnes. De sorte que « la question préalable » ne peut en aucun cas être celle de l’autorité mais celle de la mission de l’école dans une société démocratique : l’école doit-elle se contenter de « produire » des « ressources humaines » plus ou moins adaptées aux impératifs des entreprises ou doit-elle tenter sans relâche, asymptotiquement, de permettre à chaque enfant ce qu’elle ne permet qu’aux plus favorisés, découvrir ses potentialités, son « talent propre » et par là choisir sa vie…, autant que faire se peut. Prendre le parti de l’école-entreprise, c’est recourir à la simplicité au détriment de la personne, donc au détriment de la justice. Prendre celui de l’école de la personne c’est entrer dans la complexité inhérente à la démocratie pour tenter de progresser dans le sens de la justice. L’éducation est bien, décidément, une question politique.
Nestor Romero
(enseignant retraité)
(« l’école des riches, l’école des pauvres », Syros, 2001)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Intéressant programme.

Anonyme a dit…

bonjour Nestor,
je ne suis pas enseignant,mais je suis fils d'ouvrier et je pense avoir réussi mes études en glanant un diplôme d'ingénieur. Le plus difficile a été de réussir le concours d'entrée et d'être déjà en compétition avec d'autres. Ensuite, tout était programmé pour obtenir le diplôme, même pour les plus rebelles! L'école ne pouvant se permettre d'avoir des échecs.
Je ne pense pas que le milieu soit un facteur plus aggravant que le potentiel intellectuel de chaque individu. De plus, l'école forme les individus d'une manière archaique sinon bête et méchante! Tu seras chirurgien mon élève!!
Sans tomber dans des extrèmes "Huxkleyens", il existe des voies d'orientation qui peuvent valoriser un travail manuel. Je vis depuis 10 ans en Allemagne et l'apprentissage, la formation professionnelle, sont des actes reconnus et respectés. Si je devais recommencer dans une autre vie, je me mettrais vendeur de saucisses-frites dans une caravane bien placée et pourrais profiter de mon argent pour continuer à apprendre. La valeur fondamentale que l'école ne nous inculque pas forcément est la faculté d'apprendre à tout age et à tout instant. Celui qui n'apprend plus est vieux; qu'il ait 17 ou 60 ans!
Comment réformer tout ca? Quels seront les pantins politiques qui s'y attèleront?
L'éducation est certainement une question politique, mais aussi d'individu.

Cordialement

Francois Thomas